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DECRYPTAGE /OBJECTIF N°2 DU CTRI:La REFORME DES INSTITUTIONS par Nestor BINGOU (Ancien Magistrat)

Libreville 1er Décembre 2023 Globe infos.

A QUOI DEVRAIT-ON S’ATTENDRE ?

Le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) a décliné récemment les six objectifs phares de la transition, à savoir : la restauration de la stabilité, la réforme institutionnelle, la lutte contre la corruption, le développement durable, l’Education, et le Dialogue National. Chaque vendredi, Nestor Bingou, ancien Magistrat, décrypte avec nous un objectif et permet d’entrevoir les pistes de solutions pour sa réalisation. Nous abordons aujourd’hui l’objectif n° 2 relatif à la réforme des institutions.

Notons déjà que le terme « institution » trouve son origine dans la racine indo-européenne « sta » qui signifie « se tenir debout ». Une institution est ainsi, une norme ou une pratique socialement dressée ou établie et admise par une communauté humaine, en vue de la création d’une structure, d’une orientation ou d’un ordre. Elle est donc une œuvre humaine, conçue pour atteindre un but social déterminé. Le mariage, le système éducatif, le Droit, les organisations politiques nationales, les établissements, etc, sont autant d’institutions. L’Etat en tant que pouvoir institutionnalisé est lui-même une institution. La population gabonaise, le sol du Gabon, ses eaux douces ou maritimes, son espace aérien, peuvent à des niveaux divers être considérés comme des institutions à part entière. Il y a alors autant d’institutions qu’il y a des modèles d’organisations sociales, aussi bien au niveau national que local. Il y a autant d’institutions qu’il y a des aspirations et des besoins à satisfaire dans une société donnée. Sur le plan juridique, on peut distinguer les institutions de Droit public et les institutions de Droit privé, ou les institutions formelles (règles, lois, constitutions) et les institutions informelles (les normes de comportement, les codes de conduite auto-imposés). La notion de « réforme » quant à elle désigne l’action de changer la forme et/ou le contenu de quelque chose. En se fixant pour objectif « la réforme des institutions », le CTRI ambitionne sans doute de revoir l’architecture, juridique et moral, national. Il pourrait alors s’agir de penser à un Gabon nouveau, dans sa forme et dans son fond.

Sur le plan de l’organisation générale, la volonté de capitaliser notre diversité ethnolinguistique, dans la perspective lointaine de la construction d’un Etat-Nation, semble nous imposer le choix d’une organisation étatique unitaire. Il est indéniable que la forme de l’Etat auquel aspire la majorité des gabonais aujourd’hui n’est ni une Monarchie, ni une République fédérale, quoiqu’une République fédérale ne serait pas nécessairement un obstacle à la réalisation de l’objectif d’unité nationale. Dans l’affirmation de cette hypothèse d’Etat Unitaire, il serait nécessaire de créer des mécanismes efficients d’un bon maillage des structures de l’Etat sur l’ensemble du territoire. Or, on s’est aperçu que, malgré le maillage du territoire national par les services déconcentrés de l’Etat, la misère a gagné du terrain et a même fini par contenir des efforts de ces services de l’Etat dans le combat contre la pauvreté. S’étant aperçus qu’ils ne pouvaient plus gagner seuls ce combat contre la pauvreté, l’Etat et ses services déconcentrés ont cru opportun d’associer les populations à la gestion de leurs localités, en mettant en place l’institution nommée « Décentralisation », qui a consacré la création des institutions exécutives locales (collectivités locales), distinctes des institutions étatiques. Malheureusement, la pauvreté n’a pas reculé. Pour cause, l’Etat a créé ces milices locales contre la pauvre qu’on appelle « collectivités locales », mais sans volonté réelle de leur donner des armes nécessaires pour aller en guerre contre des ennemis aussi redoutables que la pauvreté et la misère. Nous avons aujourd’hui des collectivités locales qui n’assurent que le service minimum par manque de moyens. Une politique de décentralisation efficiente s’accompagne du transfert des compétences et des ressources de l’Etat aux collectivités locales, car si l’Etat était un être humain, les collectivités locales seraient ses pieds et aucun être humain ne peut se mouvoir aisément avec des pieds malades.

En biaisant la politique nationale de décentralisation, le pouvoir central prive le Gabon d’une chance inouïe de développement harmonieux du territoire national. Et les conséquences immédiates en sont l’exode rural, la pauvreté et la misère qui sévissent sur l’ensemble du territoire. Le CTRI est incontestablement attendu sur ce terrain, car il faut soigner les pieds de l’Enfant-Gabon (collectivités locales) en leurs transférant les compétences et les moyens nécessaires. Cela devrait impliquer pour le Gouvernement de ne conserver que des ministères régaliens : Ministère des eaux et forêts et de la Marine Marchande, Ministère des Affaires étrangères, Ministère de la Fonction Publique et des Comptes publics, Ministère de l’Economie, ministère de l’Education Nationale, Ministère de l’Intérieur et de la Sécurité, Ministère de la Défense Nationale, Ministère de la Justice, Ministère des travaux publics, Ministère de la communication et des télécommunications et Ministère des transports. Les compétences, les ressources humaines et financières d’autres ministères devraient être transférées aux collectivités locales. Cela permettrait de désengorger les services de Etat central, de redéployer rationnellement dans la Fonction Publique locale, les ressources humaines devenues excédentaires dans la Fonction Publique d’Etat et surtout d’impulser une dynamique local de production.

Si les collectivités locales sont les pieds de l’Etat, le Pouvoir Central en est le buste, dans lequel est logé un cœur : le Pouvoir Exécutif. Pour mieux fonctionner, un cœur doit avoir une dimension raisonnable, car un cœur trop gros conduit généralement à l’arrêt cardiaque. Le Gabon devrait alors veiller à ce que la taille de ses Gouvernements soit raisonnable. Les onze ministères régaliens cités plus haut suffiraient pour un Gouvernement, et pour plus de stabilité gouvernementale, une loi organique devrait fixer le nombre de portefeuilles ministères que peut compter un gouvernement, les énumérer et définir leurs directions générales. Beaucoup des ministères et services rattachés au Gabon ont été créés pour satisfaire les parents et amis, et non pour répondre à l’impératif d’efficacité de l’Action gouvernementale. Il serait alors judicieux de mettre fin à ce cycle de pilotage à vue qui n’a pour dessein que d’alourdir la masse salariale de l’Etat.

Si l’Etat était un être humain, le pouvoir législatif serait le cerveau de la Nation, les députés et sénateurs étant ses neurones. Il est indéniable qu’un cerveau aux neurones défectueux ne peut réfléchir et offrir à la nation des textes de loi intelligibles. Notre cerceau parlementaire a trop souffert de la défaillance de ses neurones, donc de ses parlementaires, qui avaient plus des comptes à rendre à leurs formations politiques respectives qu’à leurs électeurs. Pour y mettre un terme et amener le parlementaire à craindre l’électeur, la loi électorale doit créer des mécanismes de transparence électorale.

Si l’Etat était un être humain, le pouvoir judiciaire serait le poumon qui nourrit le corps en air et l’air de la Nation est la paix. Si le poumon manque d’air, l’être humain s’asphyxie et meurt. C’est parce que nous avons asséché matériellement et moralement la Justice que notre pays présente aujourd’hui le visage d’un malade agonisant. Il faut donner à la Justice les moyens de son action, en mettant les personnels de Justice à l’abri du besoin et en créant des mécanismes rigoureux de contrôle leur action et de sanction de leurs errements. Dans toute société humaine, quand la Justice sort par la petite porte, le désordre entre par la grande. Il faut veiller à un traitement équitable des juridictions. La Cour Constitutionnelle n’est pas une juridiction au-dessus des autres.

Si l’Etat était un être humain, le Président de la République serait l’esprit qui donne vie au corps national. Comme tout esprit, il devrait vivre en esprit, c’est-à-dire détaché des considérations matérielles. Il doit être l’incarnation des valeurs républicaines. L’intégrité, la Justice, l’équité, la probité morale, le respect de la chose publique et de la vie humaine, devraient être ses autres noms. Le spectacle désolant vécu ces soixante-trois premières années de notre accession à la souveraineté internationale devrait nous décider à encadrer davantage la Fonction présidentielle dans notre pays.

Si le Gabon était un être humain, Libreville, la Capitale politique, et Port Gentil, la capitale économique, en seraient respectivement la tête et le ventre. Pour décapiter l’enfant-Gabon, il suffirait de couper sa tête (Libreville) et de percer son ventre (Port-Gentil). Cette image permet de comprendre l’impérieuse nécessité pour le Gabon de se doter des capitales politique et économique qui répondent aux normes sécuritaires internationales. Et sur cette question, la géostratégie militaire déconseille le choix des villes côtières comme capitale, surtout capitale politique. Des pays comme la Côte d’Ivoire et le Nigeria qui l’ont compris plus tôt, se sont dépêchés de déplacer leurs capitales politiques de la côte vers l’intérieur du pays, d’Abidjan à Yamoussoukro pour la Côte d’Ivoire, et de Lagos à Abuja pour le Nigeria. Notre pays a le malheur d’avoir les deux capitales sur la côte, il y a des raisons de ne pas dormir d’un sommeil du juste. La question de Libreville est d’autant plus cruciale que 60% de la population gabonaise y vivent comme dans une bulle où seul le pont de Kango les relie au reste du pays. Il suffirait, sans le souhaiter, d’un petit incident militaire malheureux sur ce pont pour que notre pays entre dans l’histoire de la manière la plus déplorable.

Aussi, le choix d’une capitale doit obéir au critère de centralité qui participe de la Justice sociale, les citoyens se trouvant dans l’arrière-pays devant fournir le même effort pour rallier la capitale. Or, avec Libreville et Port Gentil, les populations du Haut-Ogooué, Ogooué-Ivindo, Ogooué-lolo, Ngounié et Nyanga, sont condamnés à passer en moyenne une nuit ou une journée de route avant de rallier la capitale politique ou économique. La question du choix des nouvelles capitales politique et économique devrait figurer en bonne place dans les problématiques du Dialogue National.

Si le Gabon était un être humain, les outils de télécommunication et d’observation spatiale seraient ses yeux et ses oreilles. Or, le Gabon est aujourd’hui l’un des très rares pays au monde à confier la gestion de ses télécommunications à un opérateur privé étranger. Les oreilles de notre pays sont entre les mains des opérateurs étrangers alors que cette question relève des problématiques de sécurité nationale. En d’autres termes, toutes les communications téléphoniques que nous pensons livrer à nos interlocuteurs dans le secret sont suivies en direct par les Marocains. Que dire de ces yeux pour le contrôle de son espace ? Le Gabon sous-traite avec la Station Européenne de télémesure de Nkoltang pour disposer d’un outil d’observation spatiale : l’Agence gabonaise d’études d’observations spatiales (AGEOS). L’idéal à long terme serait de voir le Gabon disposer de ses propres yeux et oreilles

Si le Gabon était un être humain, la culture serait son sang, c’est-à-dire son ADN, son identité, son énergie, son carburant. Que peut devenir un être humain vidé de son sang ? Un simple cadavre. Le but de la colonisation était de faire de nos peuples des cadavres culturels et depuis lors l’Afrique, en général, et le Gabon, en particulier, ne se sont jamais remis de leur coma culturel. Avec environ 60% des chrétiens, 20% des musulmans, 7% d’autres organisations spirituelles venues d’ailleurs, le Gabon compte environ 90% de sa population enracinée dans des croyances venues d’ailleurs. Or, il n’existe nulle part dans le monde, un modèle de développement qui ait été conçu sur une culture d’emprunt, car le développement est un état d’harmonie entre un peuple, une terre et les entités cosmiques qui la gouvernent. Si ce pays souhaite amorcer le développement, il n’a d’autre choix que de revenir vers ses fondamentaux culturels, seul socle de son dévouement souhaité.

Si le Gabon était un être humain, l’Armée serait ses reins et son foie chargés de réprimer toutes les toxines qui circulent dans le corps et qui peuvent à tout moment l’endommager. Malheureusement, trop des toxines ont circulé dans le corps de ce pays, dans l’indifférence totale de l’Armée. Gageons que la flamme du sursaut patriotique allumée le 30 Août 2023 ne s’éteigne plus jamais dans l’esprit de nos vaillants soldats.

Si le Gabon était un être humain, son sol et son sous-sol seraient ses intestins et son estomac. Pour vivre l’homme doit toujours manger pour avoir des aliments dans son estomac. Vidés d’aliments, l’estomac et les intestins tournent dans le vide, les ulcères s’installent et bonjour les dégâts. Pour que l’estomac et les intestins ne se vident jamais d’aliments, il faut une politique rigoureuse de gestion des ressources. Le Gabon doit amorcer le cycle de l’exploitation rationnelle de ses ressources, en utilisant de moins en moins ses ressources non renouvelables comme le pétrole.

Comme dans un corps humain, il n’y a pas au niveau de l’Etat une institution qui soit moins importante que les autres. La réforme des institutions vise alors la création d’un nouveau enfant Gabon en examinant chacun de ses organe, sauf pour le CTRI de se fixer l’objectif de Garder l’ancien Gabon et de dépoussiérer juste la constitution et le code électoral. Notre conviction profonde est que les gabonais attendent du CTRI, une transition plus ambitieuse.

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