Libreville le 08 décembre 2023 Globe Infos
Comme annoncé vendredi dernier, Nestor BINGOU Ancien Magistrat poursuit son décryptage des six objectifs majeurs fixés par le CTRI. Pour ce Vendredi 08 décembre 2023, le troisième (3e) objectif est la lutte contre la corruption.
Considérée comme étant le plus grand défi qui attend le CTRI, la corruption se dresse comme la mer rouge devant le peuple d’Israël en partance pour la terre promise. Oui ! Objectif est de reconnaître qu’aucun des cinq autres objectifs fixés par le CTRI n’aboutira si ce fléau qu’est la corruption n’est anéanti.
Comme tous les vendredis depuis deux semaines, l’Ancien Magistrat, Nestor BINGOU via la rédaction du journal en ligne Globe Infos (globe-infos.com), décrypte un des six objectifs du CTRI. Nous examinons aujourd’hui l’objectif n° 3 relatif à la lutte contre la corruption, un fléau considéré par bon nombre comme étant le cancer le plus dangereux qui ronge l’Administration gabonaise. Avec 29 d’IPC (Indice de perception de la corruption) dans le classement 2023, le Gabon se trouve en alerte rouge foncé, juste à un palier de l’alerte noire des pays les plus corrompus au monde.
Comment en est-on arrivé là et que faut-il faire pour sortir de cet abîme ?
La corruption peut se définir comme le fait pour un individu, appelé corrupteur, d’obtenir la complaisance d’un autre individu, appelé corrompu, moyennant un avantage moral, matériel ou financier, qui oblige le corrompu à agir ou à s’abstenir d’agir, dans l’intérêt du corrupteur. Il y a corruption par exemple quand un dépositaire de l’autorité de l’Etat agit par complaisance, dans l’intérêt d’un usager du service public, qui lui offre indûment un avantage moral, matériel ou financier. Le directeur général des marchés publics qui, dans le simple but de bénéficier d’un pot-de-vin, attribue un marché à un opérateur économique n’ayant pas fait d’offre de service compétitif, est un corrompu. L’enseignant qui attribue des notes de complaisance aux élèves-femmes qui se présentent à lui, dans le but de profiter de leurs belles formes physiques, est un corrompu. Le juge qui refuse de dire le droit pour avoir perçu d’un justiciable fautif un avantage moral, matériel ou financier, est un corrompu, etc.
De l’avis de tous, notre pays est entièrement trempé dans la corruption, aucun secteur public n’y échappe. Au regard de ce qui précède, l’on peut conclure sans risque de se tromper que : La plus grande maladie qui ronge le Gabon n’est alors, ni le chômage, le manque d’hôpitaux, des routes ou des logements, ni l’insuffisance des ressources matérielles, humaines et financières, mais la corruption dans laquelle est noyée notre élite nationale.
Politiciens, sociétés civile, universitaires, et mêmes les hommes d’église, y sont engloutis. Pour réaliser l’ampleur du phénomène, il suffit d’examiner le classement 2023 de l’indice de perception de la corruption (IPC). Le Gabon y occupe la 136e place mondiale, avec 29 d’IPC. Dans ce classement, les pays dont l’IPC est compris entre 10 et 19 sont dits « en alerte noire ». Ce sont les pays les plus corrompus au monde. Entre 20 et 29 d’IPC, le pays est réputé être en alerte rouge-foncé, c’est-à-dire prêt à virer dans l’alerte noire. C’est le cas du Gabon avec 29 d’IPC. Il fait donc désormais partie des pays où il n’est pas recommandé à un opérateur économique sérieux d’y mettre pieds pour une affaire. Entre 30 et 39 d’IPC, le pays est en alerte rouge. Entre 40 et 49 d’IPC, le pays est en alerte orage. Entre 50 et 59, on est en alerte jaune. Entre 60 et 69 d’IPC, c’est l’alerte vert-claire, et entre 70 et 100 d’IPC, les voyants sont au vert foncé. C’est l’indice des pays où la corruption n’existe presque pas. Le phénomène y est quasi-négligeable. Comment le Gabon-a-t-il alors réussi à chuter dans les profondeurs du classement mondial de la corruption ?
La raison principale semble politique et liée aux relations historiques entre le Gabon et la France. On peut déjà constater que dans le classement mondial 2023 de la corruption, aucun pays de l’Afrique francophone n’est en alerte verte ou au jaune. Les premiers pays de l’Afrique francophone à figurer dans ce classement sont le Benin et le Sénégal, qui sont en alerte orange avec 43 IPC. Ils occupent le 72ème rang mondial. Pourquoi la corruption est-elle si élevée dans les pays d’Afrique francophone ? La réponse paraît couler du sens. Il y a un lien étroit entre la corruption et la transparence électorale. Dans des pays où les présidents sont démocratiquement élus en raison de la transparence électorale, la gestion de la chose publique est plus efficiente, l’élu craignant que les errements de sa gestion ne soient sanctionnés par l’électeur à la prochaine élection. Ce n’est un secret pour personne qu’en Afrique francophone, les présidents doivent leur accession à la Magistrature Suprême au parrainage de la France. Dans ces pays, à la veille des scrutins présidentiels, les candidats se ruent à Paris pour se proposer d’être les candidats de la France dans leurs pays, ils se proposent donc d’être des serviteurs ou gardiens des intérêts de la France dans leur pays. Or, la conclusion d’un tel contrat avec les autorités française, aussi verbal soit-il, implique au préalable un engagement d’aliénation de tout ou partie des richesses du pays au profit de cette France. Un candidat qui agit ainsi est déjà corrompu depuis le départ. Comment peut-on penser qu’un tel candidat soit à mesure de mettre en place un mécanisme fiable de lutte contre la corruption dans son pays ? Et c’est le cas du Gabon depuis les indépendances. La corruption dans ce pays se trouve donc d’abord au sommet de l’Etat. Si le CTRI souhaite lutter efficacement contre ce phénomène, il serait louable de veiller d’abord à ce que son chef ne tombe pas dans les errements de ses prédécesseurs.
Ces errements font que lorsqu’un Président déjà corrompu arrive au pouvoir, sachant qu’il n’est redevable en rien au peuple, il privatise la République. Le pouvoir politique devient son pouvoir et les ressources du pays deviennent de facto sa propriété privée, celle de son épouse, de sa famille et de leurs amis. Pour y jouer un rôle à leur côté et avoir une place au soleil, il fallait savoir chanter leurs louanges, il fallait donc corrompre sa dignité pour devenir un simple larbin du clan présidentiel. C’est cette corruption mentale pour l’obtention des postes qui est la forme de corruption la plus élevée au Gabon. Le Président de République se corrompt devant les autorités françaises pour obtenir le pouvoir. Les gabonais de premier rang se corrompent devant le Président de la République, sa famille et ses amis, pour obtenir des parcelles de pouvoir. Et les gabonais de second rang viennent solliciter des postes auprès des gabonais de premier rang, qui leur imposent les mêmes principes d’aliénation mentale. On occupe ainsi des fonctions de l’Etat, non pas parce qu’on est méritant, mais parce qu’on est fils, cousin ou ami de tel. On ne rendait plus la Justice au nom du peuple gabonais, mais au nom de son époux président de la République. La famille, les amis, les conjoints, passaient désormais avant la République. La course à l’enrichissement devenait le sport favori. Qu’importait que l’île Mbanié revienne à la Guinée Equatoriale, pourvue que le Président ’Obiang Nguema me donne de l’argent. Tout le monde était devenu commerçant dans l’Administration. Pour y mettre fin, il serait souhaitable de:
1- Créer des mécanismes de la transparence électorale afin que le Président de la République et les parlementaires élus doivent leur pouvoir au peuple et apprennent à lui rendre des comptes pour mériter à nouveau sa confiance ;
2- Remettre la compétence au centre de la gestion des ressources humaines de l’Etat et des collectivités publiques afin que l’homme qu’il faut soit à la place qu’il faut, les parvenus étant souvent auteurs d’une gestion zélée des ressources de l’Etat ;
3- Réactiver les conseils de discipline dans les Administrations afin que tout comportement déviant soit réprimé, dans des conditions d’impartialité ;
4- Promouvoir l’exemplarité autour du Président de la République en sanctionnant le moindre cas de corruption dans son environnement ;
5- Eloigner la famille du Président de la République des Affaires de l’Etat pour éviter des cas de trafic d’influence ;
6- Donner à tous les pouvoirs des moyens nécessaires à un exercice digne de leurs compétences, car un Magistrat qui se fait déposer à son domicile par un justiciable ne peut s’empêcher en retour de lui accorder son humanité. Il n’y a aucune raison intelligible qui puisse justifier que le Pouvoir Exécutif soit l’Enfant gâté du pays. Un ministre ne passe aucun concours pour mériter un traitement plus digne que celui d’un député ou d’un juge ;
7- Redistribuer rationnellement les ressources de l’Etat pour que les efforts de chaque agent public soient dignement récompensés.
Pour ne citer que ceux-là car, au regard de ce qui précède et la profondeur de ce fléau, la liste des propositions pourrait être exhaustive. Nous faisons la promesse à nos lecteurs de revenir sur ce sujet. Mais pour le vendredi prochain, vous aurez votre décryptage du 4 ème objectif.