Libreville le 20 novembre 2023. Globe infos.
CTRI/Communiqué No 26 du 13 novembre dernier analysé par Nestor BINGOU Ancien Magistrat
LES GABONAIS ATTENDENT UNE TRANSITION PLUS AMBITIEUSE
Le, 13 novembre 2023, le Comité pour la transition et la restauration des institutions (CTRI) a rendu public le chronogramme provisoire de la transition, sous réserve de son adoption par le Dialogue National. Nous souhaitons ici jeter un léger regard sur le contenu de ce chronogramme et éventuellement y exposer humblement quelques attentes du citoyen gabonais que nous sommes.
En effet, le communiqué du CTRI énumère en introduction les six objectifs que s’est assignés ce comité militaire, à savoir :
1. La restauration de la stabilité ;
2. La réforme institutionnelle;
3. La lutte contre la corruption ;
4. Le développement durable ;
5. L’Education ;
6. Le Dialogue National.
Il convient d’entrée de saluer la volonté des militaires de rendre le pouvoir aux civils dans les meilleurs délais, conformément à leur engagement du 30 Août 2023. Mais, sans fausse modestie, nous devons savoir rester raison gardée pour mieux déjouer le piège de la précipitation, cette transition gabonaise étant un évènement historique d’intérêt majeur, qui commande que chaque acte posé soit le fruit d’une réflexion approfondie.
Ce qui saute à l’œil, à la première lecture de ce communiqué, est le déséquilibre entre les objectifs fixés et le planning d’actions défini pour leur réalisation. Le communiqué passe sous silence les activités envisagées en vue de la réalisation des objectifs de stabilité, de la lutte contre la corruption, du développement durable et de la réforme de notre système éducatif, se contentant de définir les actions nécessaires à l’accomplissement des objectifs de la réforme institutionnelle et du Dialogue National, quoiqu’une réforme institutionnelle crédible ne puisse s’accommoder de la seule adoption d’une nouvelle constitution et d’un nouveau code électoral. Le CTRI se serait-il abstenu de s’étendre sur le champ d’action réservé au Dialogue National ? Cela est possible ! Dans ce cas, loisir aurait été de s’en tenir à la feuille de route prescrite au Premier Ministre, Chef du Gouvernement et d’attendre la suite du chronogramme arrêté par le Dialogue National. Le document présenté donne l’impression d’un CTRI manquant d’ambitions fortes pour le pays au moment où le peuple attend de lui la création des mécanismes nécessaires au décollage politique, économique et social de la Nation.
La liesse populaire du 30 Août 2023 saluait l’arrivée d’une ère nouvelle dans notre pays. Il appartient au CTRI de traduire en actes cette volonté exprimée du peuple souverain du Gabon. Cela implique, à notre humble avis, la suppression des facteurs-bloquants, qui empêchent le Gabon d’amorcer son « essor vers la félicité ». Il s’agit notamment :
1)- Du règlement de la situation de l’Armée d’occupation française au Gabon, outil soupçonné des basses besognes en périodes électorales (chantage aux dirigeants, bombardement des QG des leaders politiques, transports d’urnes bourrées depuis la France, etc) ;
2)- De l’adoption d’une constitution à la hauteur des aspirations de souveraineté et de liberté du peuple gabonais, libertés, monétaire et politique, adossées sur la fin des accords coloniaux. Le Gabon a besoin d’une constitution rédigée par des juristes gabonais et non par des experts internationaux dont les seuls élèves ne se rencontrent qu’en Afrique ou dans les pays du tiers monde. La rédaction d’une constitution est un acte de souveraineté qui ne s’accommode point d’ingérences extérieures. Cela est vrai pour les pays occidentaux que pour les pays africains ;
3)- De la mise en place d’une commission nationale de vérification de la régularité des certificats de nationalité délivrés jusqu’ici, afin d’éliminer du fichier électoral national le bétail électoral venu des pays amis et ayant bénéficié des certificats de nationalité délivrés à la sauvette à l’aéroport ou aux frontières;
4-Du recensement général de la population sur un fichier biométrique, outil indispensable du pilotage du développement politique, économique et social d’un pays;
5- De la suppression du fichier électoral actuel, fruit de toutes les manipulations frauduleuses depuis sa mise en place, et de la déduction d’un nouveau fichier électoral national à partir de celui du recensement général de la population ;
6- De la tenue d’un Colloque scientifique national sur l’écriture de l’histoire réelle du Gabon, le développement étant une variable adossée sur la conscience historique d’un peuple, ses dynamiques présentes et la volonté commune de ses enfants à se projeter vers la réalisation des idéaux partagés;
7- De l’audit sur l’état de la décentralisation et l’adoption d’une nouvelle loi organique plus ambitieuse, permettant aux collectivités locales d’apporter des réponses appropriées aux besoins réels et aspirations des populations de leurs circonscriptions administratives;
8- De l’adoption d’un nouveau code électoral marqué par six réformes majeures:
– Suppression du Comité gabonais des élections (CGE) et retour de ses compétences aux Ministères de l’intérieur et des Affaires étrangères, pour rendement quasi nul depuis sa création ;
– Suppression du Conseil National de la démocratie et transfert de ses compétences au Conseil économique et social (CES) pour rendement insignifiant depuis sa création;
– Suppression du bloc « Opposition/Majorité » au profit des blocs idéologiques « Les démocrates ou socialistes », dont l’idéologie porterait sur plus de Justice sociale, et « les républicains ou capitalistes », partisans de la puissance de l’Etat et des acteurs qui concourent à la création des richesses (entreprises), l’objectif étant de sortir le débat politique national des abîmes (clivage politicien Opposition/Majorité, tribalisme, régionalisme, xénophobie, vaine calomnie politicienne, distribution des cuisses de poulet, avilissement de l’électeur, mendicité des postes, crimes rituels, etc) ;
– Création d’une brigade nationale antifraude électorale chargée de traquer les fraudeurs électoraux avant, pendant et après les élections. Elle serait composée des officiers de police judiciaire, des acteurs de la société civile ordinaire, des acteurs de la société civile religieuse et, en période électorale, des observateurs internationaux. Le personnel de commandement ou des missions consulaires dont les circonscriptions électorales seraient entachées d’irrégularités seraient relevés de leurs fonctions et mis à la disposition de la Justice. Cette brigade serait placée sous la double tutelle du Parlement et de la Cour constitutionnelle ;
– Création autour du personnel de commandement et des missions consulaires d’un mécanisme efficient de collecte, de centralisation et de publication des résultats électoraux en 24 heures, à compter de l’heure de la fermeture des bureaux de vote;
– Fixation dans la loi électorale du nombre minimum d’électeurs requis pour l’érection d’un siège de député, les sièges de moins de 2000 électeurs devant être supprimés
9- De l’informatisation du fichier des militants des partis politiques sur une base de données biométriques gérées par le Ministère de l’intérieur, le but étant de s’assurer que tous les partis politiques remplissent la condition du nombre d’adhérents requis pour leur constitution légale, plusieurs formations politiques n’existant que de nom et bénéficiant frauduleusement de la subvention allouée aux partis politiques ;
10- Du règlement des situations des agents de l’Etat en présalaires depuis des années, du paiement des rappels et de la revalorisation des pensions de retraite ;
11- De l’apurement de la dette intérieure ;
12- De la distribution des cartes d’électeurs et du lancement des premières élections locales, législatives et présidentielle du Gabon nouveau ;
13- De l’installation des nouvelles autorités nationales élues et fin de la transition.
En somme, la durée de la transition devrait tenir compte du planning de réalisation de cette aspiration profonde du peuple gabonais au changement, une aspiration qui met malheureusement dos à dos les intérêts de notre pays et ceux de notre partenaire privilégié la France. Sauf pour les uns et les autres de hiérarchiser la souffrance, il serait souhaitable de réfléchir ensemble à la mise en place d’un mécanisme efficient d’une coopération gagnant-gagnant entre nos deux pays. Il serait souhaitable d’amorcer ces réformes dès aujourd’hui, plutôt que de dormir sur les lauriers d’un calme apparent, l’avenir du continent africain étant plongé dans un océan d’incertitudes.
Libreville, le 17 Novembre 2023
Nestor BINGOU,
Ancien Magistrat